C’est avec tristesse que j’ai appris ce matin le décès de René Verquin à l’âge de 87 ans. J’ai une affection toute particulière pour cet homme, le premier témoin que j’ai rencontré pour la première fois le 30 mai 2012 au début de mon enquête sur la Shoah en Soissonnais. Je l’évoque plusieurs fois dans mon livre. Voici le premier extrait relatant notre premier rendez-vous, inoubliable pour moi :
J’arrive comme convenu chez M. Verquin, membre de la Société historique de la ville de Soissons – le spécialiste de la Seconde Guerre mondiale. Il m’accueille dans son appartement au bord de l’Aisne. Hélas, il ne pourra me recevoir très longtemps car des soucis de santé l’obligeront à écourter notre entretien. Âgé de 82 ans, épaules larges, un œil droit clos qui donne à son large visage une certaine sévérité, une voix tremblante mais profonde que l’on devine autoritaire. De sa démarche courbée il glisse lentement jusqu’à son bureau. Une petite pièce où le moindre espace de mur est couvert de livres et de dossiers serrés les uns contre les autres en bon ordre sur des étagères fatiguées. D’un coup d’œil je remarque effectivement que chaque document traite des années 1939-1945. Nul doute, j’ai affaire à un spécialiste et à un contemporain de ces années d’Occupation à Soissons puisque c’est en jeune adolescent qu’il traversa la guerre. Il m’invite à m’asseoir et, sur un ton qui exclut le moindre doute sur sa sincérité, il me dit qu’il a été impressionné par mon « acharnement » quand il a reçu par mail mes tableaux et ma méthodologie utilisés pour mes recherches. Sur ces tableaux, où je répertorie les noms des Juifs du Soissonnais ainsi que les acteurs liés à mon sujet (résistants, Justes ou collaborateurs), il a porté quelques annotations ou corrections. Il semble vraiment maîtriser son sujet, principalement sur la Résistance. Quand il évoque la déportation des Juifs de Soissons lors des rafles du [20] juillet 1942 et du 4 janvier 1944, il m’affirme n’avoir pas eu connaissance de ces faits du haut de ses 12-14 ans. Avant de nous quitter, il me photocopie en couleurs des photos de la famille Bouldoire-Lewkowicz. J’ai pu découvrir pour la première fois les beaux visages de Robert/Simon et Rose Lewkowicz, assassinés à Auschwitz en 1942, arrivés séparément dans le camp de la mort : lui par le convoi no 12 du 29 juillet 1942, elle par le convoi no 26 du 31 août 1942. Cinq de leurs enfants seront sauvés par la sœur aînée, Germaine, 19 ans en 1942, qui se maria cette année-là avec un non-Juif français, Jacques Bouldoire. Des portraits immortalisés lorsqu’ils devaient avoir une vingtaine d’années, certainement au début des années 1920, après qu’ils eurent quitté leur Pologne natale. Le portrait de Rose est magnifique, elle respire la jeunesse, la beauté, la gentillesse et la douceur.
Extrait : Stéphane Amélineau La Shoah en Soissonnais : Journal de Bord d’un itinéraire de Mémoire. Ed. Fondation pour la Mémoire de la Shoah/Le Manuscrit. Collection Témoignages, Paris, 2017. p.36-37.

Photographie gardée précieusement lors de ma visite en mai 2012 dans le bureau de René Verquin. [Collection particulière]
En novembre 2013 eut lieu notre seconde rencontre à son domicile. Cette fois-ci je lui avais demandé de fouiller dans ces archives s’il avait quelques choses sur les policiers de Soissons lorsque je travaillais sur les cas des agents de la paix ayant aidé des Juifs de la ville, Charles Létoffé et son collègue Daniel Saget-Lethias :
Je retrouve avec plaisir M. René Verquin. Homme à la silhouette massive, intarissable sur la Résistance à Soissons. C’est un émerveillement pour moi de revoir son bureau ; une vraie petite salle d’archives où les étagères regorgent de documents rassemblés par des années et des années d’investigations sur l’histoire de la Seconde Guerre mondiale. Nous en venons au fait de notre entretien. Il me rend compte des recherches que je lui avais demandées à propos du résistant Charles Létoffé. J’avais rouvert ce dossier et je comptais sur mon interlocuteur pour dénicher quelques informations supplémentaires. Hélas, il n’avait trouvé que quelques bribes qui venaient confirmer l’appartenance du policier au réseau Vitu sans vraiment m’apporter d’éléments nouveaux, jusqu’à ce que de sa voix rauque, penché sur des feuillets éparpillés sur son bureau, il m’informe : « Je suis tombé sur un document qui pourrait vous intéresser à propos des Juifs de Soissons. Je l’ai mis de côté pour votre venue. Ça vous dit quelque chose, les Boch ou Buch ? me questionne-t-il tout en tentant de le retrouver. – Vous voulez parler de la famille Bich, avec un “i” ? – Ah, le voilà ! Oui, c’est cela. Tenez, lisez ! »
C’est le récit du policier Daniel Saget-Lethias, collègue de Charles Létoffé, sur ses états de service dans la Résistance. Deux phrases interpellent mon attention : Cette même année j’ai retardé la déportation de certains Israélites au risque d’encourir de gros ennuis. Témoins, les époux Bich dit Mochet Isaac, rue des Carrières d’Amérique (no 22 je crois) à Paris.
Extrait : Stéphane Amélineau La Shoah en Soissonnais : Journal de Bord d’un itinéraire de Mémoire. Ed. Fondation pour la Mémoire de la Shoah/Le Manuscrit. Collection Témoignages, Paris, 2017. p.396.
Au terme de cette seconde rencontre, René Verquin avait tenu à m’offrir un livre que je devais choisir dans sa bibliothèque. Confus, car un refus de ma part l’aurait vexé, je parcourais de mon index les titres sur la tranche des livres jusqu’à ce que mon doigt s’arrête sur celui-ci : Quand les alliés ouvrirent les portes d’Olga Wormser-Migot (1912-2002), paru en 1965 aux éditions Robert Laffont. Cela m’intéressait de découvrir les premiers travaux historiques sur la découverte et la nature des camps d’extermination. D’autant plus que l’auteure avait été chargée, fin aout 1944, par Henri Frenay (fondateur du mouvement de Résistance Combat et ministre des Prisonniers, Déportés et Réfugiés du Gouvernement provisoire de la République française entre 1944 et 1946) de localiser et de rechercher les déportés… rien que çà !!! La lecture de ce livre allait avoir des conséquences incroyables sur la suite de mes recherches concernant les parents de Viviane, les fameux époux Bich dit Mochet, seuls survivants Juifs de Soissons à être revenus d’Auschwitz-Birkenau. Je fis un bond dans mon lit lorsque je lus la page 165 :

Extrait p.165 « Quand les Alliés ouvrirent les portes » Olga Worsmer-Migot. Robert Laffont, 1965.
Je compris alors, et la suite de mes recherches avec sa fille le confirmèrent, Sophie Bich dit Mochet fut l’une des trois premières survivantes de Birkenau (sur les 2500 des 76 000 déportés dans le cadre de la « solution finale de la question juive » en France) à rentrer en France, le 1er avril 1945 lorsqu’elle débarqua à Marseille avant de monter à Paris et retrouver les sauveurs de sa fille, boulevard Malsherbes.
Jusqu’à très récemment, René Verquin et moi, nous sommes entretenus plusieurs fois au téléphone. Depuis 2012 il me répétait sans cesse, « avez-vous trouvé quelques choses sur les familles juives Contenté et Neuman ? » Rien dans les archives, jusqu’à ce que je retrouve Pauline Contenté l’été dernier, une amie de son enfance et dont il a toujours gardé en lui une profonde admiration pour le grand frère Jean Contenté. René Verquin était très heureux et bouleversé d’avoir, plus de 60 ans après leurs derniers contacts, des nouvelles de ces deux familles juives de Soissons et de Corcy, d’échanger ses souvenirs au téléphone avec Pauline, aujourd’hui âgée de 84 ans.
Paix à votre âme monsieur Verquin.
Cher MOnsieur AMELINEAU,
Nous sommes très touchées par l hommage que vous rendez à notre père.
Nous ne manquerons pas de vous contacter lorsque nous serons amenées à partager le fruit de son travail .
Cordialement,
Catherine , FAbienne et Elisabeth Verquin.