Combattant juif contre le joug nazi et ses nervis
Avant-propos
En 2020, j’avais pu consulter le dossier de Maurice Mirowski et révéler aux membres de sa famille son parcours de résistant à travers ses propres témoignages entre 1946 et 1948 auprès des autorités militaires afin d’homologuer son appartenance aux FFI (Forces Françaises de l’Intérieur). Cette recherche était aussi motivée par mes travaux dans le cadre de la rédaction d’une biographie sur Jacques Ehrenkranz « L’Odyssée de Jacob » (toujours en cours), son oncle par alliance. La mère de Maurice, Régine née Liwer, est la sœur aînée de Germaine née Liwer, épouse de Jacques Ehrenkranz depuis 1931. Les Liwer étaient une grande fratrie née entre 1896 et 1920 venant de Bedzin en Pologne et qui arrivèrent à Paris avec leurs parents au début des années vingt. Des mariages de ces dix frères et sœurs sont nés vingt-quatre cousins-cousines. L’aîné de ce cousinage était Maurice, né en 1923.

En aout 2022, j’accompagnais l’un de ses plus jeunes cousins, Jean-Claude Liwer, né en 1945, aux archives de Mémorial de la Shoah pour lui montrer la manière dont je travaillais tout en profitant de consulter le fameux fichier des Juifs de la préfecture de la police de Paris pendant l’occupation et sa participation active aux arrestations et aux rafles.
Ce fichier a été créé à partir des recensements des juifs en 1940 et 1941 et de ceux qui ont été arrêtés lors des coups de filet. Nous avons trouvé celle de Maurice Mirowski qui nous révéla une information clé, et confirma ses dires de 1946 à 1948. Nous consultons également celles d’Adolphe, de Germaine et de Sylvia Liwer. Les trois membres de la fratrie Liwer à avoir été déportés et assassinés à Auschwitz en 1942.
Nous découvrons, à notre grande surprise, car nous l’ignorions, qu’un autre frère Liwer, Henri, a une fiche. Elle nous apprend qu’il a été arrêté lors de la rafle du Billet vert à Paris le 14 mai 1941 avant d’être interné au camp de Pithiviers dans le Loiret. Une note au verso de cette fiche nous révèle qu’il s’est évadé le 10 aout 1941 d’une ferme, à Mainvilliers (80 km de Pithiviers), dans laquelle il était détaché pour y travailler sous la surveillance de gendarmes.

Par contre, la mère de la fratrie Liwer (Brendla, veuve de son époux Lazar décédé en 1936), ainsi que ses enfants qui vivaient à Paris ou dans le département de la Seine n’apparaissent pas dans ce fichier. Ce qui signifierait qu’ils ont refusé d’aller se présenter aux commissariats pour se faire recenser en octobre 1940 et à l’été 1941.
Synthèse de recherches sur Maurice Mirowski et ses activités pendant l’occupation
Né le 15 juillet 1923 à Paris XIIe, nationalité française (décédé en 1995)
Fils de Léon Mirowski (1896-1980) et de Régine Liwer (1899 -1990)
Domicile avant la guerre : 43 rue Malmaison à Bagnolet
Domicile après la guerre : 36 avenue des Fleurs à Bagnolet
Diplômes : Brevet élémentaire, Brevet d’enseignement primaire supérieur (ancêtre de notre Brevet des collèges), Certificat d’Aptitudes Professionnelles de commis comptable, Diplôme de teneur de livres de la Société Comptabilité de France, Certificat d’Études commerciales (mention « Très bien »). Brevet d’enseignement commercial.
L’invasion allemande, mai-juin 1940. Témoignage (extrait) de Mireille Mirowski (1929-2018)
Entre [ ], notes de l’auteur.
[Avant la guerre] Nous allions souvent en vacances à Soissons, dans l’Aisne, où plusieurs membres de notre famille demeuraient. Je me souviens en particulier de la maison de ma tante Germaine (sœur de ma mère) [Régine Liwer] mariée à un homme charmant, Jacques Ehrenkranz, d’origine autrichienne qui mangeait des omelettes sucrées. Cela nous amusait beaucoup. Ma tante Germaine fabriquait des robes qu’elle vendait ensuite sur le marché de Soissons et des environs. Elle avait deux enfants [Daniel et Lise Ehrenkranz] qu’elle laissait en nourrice car elle n’avait pas assez de temps à leur consacrer. Cette nourrice, Madame Laplace [Annunciata, dit Néné], qui n’avait que des garçons [quatre], adorait Lisette mais n’aimait pas Daniel qui était un peu diable. Elle les a d’ailleurs gardés pendant toute la guerre quand leur mère a été déportée [Arrêtée le 20 juillet 1942 à Soissons et déportée le 18 septembre 1942 de Drancy vers Auschwitz]. Cette maison qui se situait [au 7] rue des Cordeliers, en plein centre-ville, était une maison à trois étages. Ma tante travaillait au rez-de-chaussée… Toutes les chambres se trouvaient en étages.
En 1940, les Allemands avaient envahi la Belgique. Notre famille dont la plupart vivaient à Soissons dans l’Aisne, se sont retrouvés sur les routes de l’exode pour échapper à l’arrivée des Allemands. Leur point de chute était la ville de Cosne-sur-Loire où demeurait la sœur de mon oncle Jacques Ehrenkranz [Betty, déportée à Auschwitz avec son fils Charles et son mari Léon Tischler le 4 novembre 1942]. Mes oncles et tantes de Soissons – il y avait Paul [Golcer] et Eva [Liwer] et leurs enfants, Pierre et Fanny, Robert Liwer et Germaine Frenkiel et leurs enfants Michel et Nicole (née en 1940), et un peu en dehors de Soissons, à Crouy, Adolphe [Liwer] et Thérèse [Kassel] et leurs trois filles, Monique, Nadia et Madeleine – tenaient des stands de confection sur les marchés de Soissons et des environs, aussi avaient-ils des voitures ou camionnettes à leur disposition. Ils s’embarquèrent donc, avec femmes et enfants, bagages (matelas, nourriture etc.) pour rejoindre cette ville au bord de la Loire.
A Paris, la panique commençait, les Allemands avançaient très vite et l’armée française commençait à partir en débandade avec les civils sur les routes. Les bombardements détruisaient les voies ferrées. Il n’y avait plus d’essence pour les voitures. Les gens partaient par tous les moyens, les plus hétéroclites. Mon père [Léon Mirowski] qui s’était inscrit comme « engagé volontaire » pour défendre la France, n’étant pas français, a été recruté dans la Légion étrangère. Tous mes oncles ont fait de même. Mon père n’a jamais été appelé à combattre puisqu’il n’y avait plus de commandement militaire.
Mes parents n’ayant pas de moyen de transport, nous sommes restés à Bagnolet « advienne que pourra ». Mais mon oncle Robert [Liwer] ne l’entendant pas de cette oreille, revint sur Paris pour nous chercher. Il trouva une femme très riche qui possédait un camion, qui ne savait pas conduire et qui souhaitait partir vers l’Espagne. Il lui a promis de la conduire à condition qu’il emmène des membres de sa famille, en l’occurrence, nous. C’est ainsi que nous partîmes sur les routes en direction de Cosne-sur-Loire pour rejoindre le reste de la famille.Mon frère Maurice a préféré, je ne me souviens plus pour quelle raison, rester à Paris avec quelques hommes dont les femmes étaient parties sur les routes.
[Après plusieurs semaines d’errance sur les routes de l’exode, l’Armistice signé le 22 juin 1940, et la capitale déclarée ouverte, toute la famille rentra à Paris et à Soissons]
Au début de l’occupation allemande, Maurice sembla avoir fini ses études en comptabilité. Habitant à Bagnolet, il travailla, au moins jusqu’à la mi-1941, comme aide-comptable à Paris. Il est arrêté lors de la rafle du 20 aout 1941 à Paris, en même temps que son oncle Adolphe Liwer (frère de sa mère Régine née Liwer) et interné au camp de Drancy, créé à partir de ce jour-là pour regrouper des Juifs, d’où il sera libéré le 4 novembre 1941. [Son oncle Adolphe sera déporté le 22 juin 1942, convoi n°3, et assassiné à Auschwitz I Stammlager le 13 aout 1942].
Ci-dessous, fiche d’internement, recto et verso, de Drancy au 20 aout 1941 concernant Maurice Mirowski avec la mention libéré le 4.11.41, confirmée sur le fichier « Juif » de la Préfecture de police de Paris.[Archives Nationales/Mémorial de la Shoah : fichiers Drancy Adultes F9/5716 et Préfecture Adultes F9/5654]. [« adresse » au camp de Drancy de Maurice Mirowski : B4 = Bloc 4 ; E14 = Escalier 14 ; Ch = Chambrée 6].



Ces trois premiers mois (aout-novembre 1941) de l’histoire du camp de la cité de la Muette furent effroyables. Les conditions d’hygiène, d’hébergement et la sous-alimentation étaient les pires dans l’histoire de ce maudit lieu. Les troubles et les risques d’émeute étaient une réalité pour les autorités. La situation fut ingérable et les Allemands décidèrent de libérer un millier de détenus au cours du mois de novembre 1941 sur les 4000 internés. La priorité était donnée aux cachectiques et aux œdémateux, puis ils prirent en compte la nationalité. De par sa nationalité française, Maurice, à Drancy pendant cette période, a pu bénéficier de cette libération. De plus, pas mal de jeunes de 18-19 ans (l’âge qu’avait Maurice en 1941) avaient été libérés. Ce fut l’unique fois qu’eut lieu une libération en aussi grand nombre à Drancy. [Sources : travaux d’Annette Wieviorka et Michel Laffitte, A l’intérieur du camp de Drancy, éditions Perrin, 2012].
Juste avant les grandes rafles de juillet 1942 à Paris et dans toute la zone nord occupée, Maurice entra en partie dans l’illégalité. Il s’était muni de faux papiers et il réussit à passer la ligne de démarcation [les circonstances nous sont inconnues] pour retrouver des membres de sa famille à Lyon. Il s’installa rue Pierre Blanc [la rue où vivait également un de ses oncles, Benjamin Liwer, et où se trouvait également Jacques Ehrenkranz lors de sa convalescence après les interventions aux électrochocs du Val-de-Grâce à Paris suite à son rapatriement sanitaire d’un stalag allemand pour cause de paralysie de ses membres inférieurs]. Toujours sous une fausse identité, Maurice trouva un travail comme aide-comptable à l’Urbaine Capitalisation, puis dans l’agence Havas rue de la République à Lyon.
Il commença à réaliser plusieurs actes de résistances individuelles. Le 13 juillet 1942, par exemple, à Lyon toujours, il participa à une manifestation anti S.O.L. [Service d’Ordre Légionnaire créé en 1941 qui devint en 1943 la Milice Française].
C’est en novembre 1942 que Maurice s’engagea dans un groupe de défense et de combat de la résistance organisée : les F.U.J.P. [Forces Unies de la Jeunesse Patriotique] sous le nom de guerre Michel. Il utilisa également à cette période-là, le pseudo Serge. Ses activités se concentrèrent principalement sur la diffusion de tracts, de manifestations et d’inscriptions anti-nazies ou anti-Vichy.
En avril 1943, il intégra également le bataillon Carmagnole des F.T.P. [Francs-Tireurs Partisans]. Le 15 de ce mois, fraichement nommé chef de détachement, il attaqua la mairie de Champagne-au-Mont-d’Or [banlieue de Lyon] pour voler des tickets de rationnement afin de ravitailler le Maquis. Il continua à diffuser des tracts, manifester ou inscrire des slogans anti-allemands sur les murs. En septembre, Maurice Mirowski, avait 20 ans et devint responsable de groupes de combat à Lyon. Il diffusa, entre autres, des tracts en allemand dans la caserne Part-Dieu et sur les champs de manœuvre allemands à l’Hippodrome du Grand Camp.
A la fin de l’année 1943, il entra complètement dans l’illégalité. Il partit pour Grenoble où il put trouver un logement rue Jean-Jaurès. Il continua les mêmes genres d’action qu’à Lyon [diffusion de tracts, etc.] et fut à nouveau responsable de groupes de défense et de combat à Grenoble sous le nom de guerre Jacques.
En juin 1944 il quitta son domicile de Grenoble pour combattre dès le 1er juillet dans le Maquis de l’Isère des FTP au sein du bataillon Carmagnole-Liberté sous les ordres du Lieutenant Henri Krischer alias Lamiral. Maurice fut élevé le 12 juillet au grade de sergent et prit le commandement d’un groupe. Il fut baptisé d’un nouveau nom de guerre : Germain Bach. Avec son groupe, il attaqua des mairies dans la banlieue de Grenoble pour ravitailler le maquis en tickets de rationnement. A Gières, il sabota un garage allemand. Dans le centre historique de Grenoble, au bord de l’Isère, il attaqua le Centre de distribution de tickets au Jardin de Ville. Il exécuta au révolver deux officiers allemands dans deux opérations différentes. Son chef, Krischer, témoignera après la guerre à propos de ces exécutions :
« Une des actions les plus éprouvantes était la patrouille en ville : à en parler, beaucoup d’entre nous en ressentent encore toute l’angoisse. Le groupe investissait la rue, les camarades marchaient deux par deux, en gardant les distances. A chaque extrémité, deux d’entre eux étaient de protection, au milieu, les deux autres attendaient l’ennemi. Certes il est difficile de tuer, surtout de près, mais le pire était cette attente du nazi à abattre. L’homme à terre, il ne fallait pas oublier de récupérer l’arme et comme il s’agissait souvent d’un officier, le petit chargeur supplémentaire, difficile à extirper de son étui ».
Depuis le débarquement des Alliés en Provence le 15 août 1944 et l’espoir retrouvé de la résistance après les massacres du Vercors les 21-24 juillet, les opérations de combats des FFI s’intensifièrent dans le sud-est de la France. A compter du 20 août, Maurice Mirowski et son groupe FTP opéra dans le maquis près de Vizille [une vingtaine de kilomètres au sud de Grenoble]. Il fut alors adjoint de détachement avec le grade d’adjudant-chef. Il occupa Eybens [commune d’un millier d’habitants au sud de Grenoble] pour arrêter des miliciens. Il participa à la libération de Grenoble les 21-22 août 1944, en particulier à Gières ou un groupe d’Allemands se rendit avec un important butin de guerre. La Wehrmacht fut complètement débordée et a vite déserté la capitale des Alpes sans un coup de feu pour se retirer en bon ordre. Ses opérations ouvrirent la route aux Américains qui avaient prévu environ trois mois pour arriver à Grenoble. Ils ont mis sept jours !
Le 28 août 1944, en accord avec le VIe Corps d’Armée Américain et la Ière Armée française du général de Lattre de Tassigny, le lieutenant-colonel Descour, chef de l’Organisation de Résistance de l’Armée [ORA] et commandant les FFI de la région, ordonne aux FFI de converger vers Lyon : ceux de l’Ardèche et de la Loire à l’ouest, ceux du Rhône et de l’Ain au nord et ceux de l’Isère [dont Maurice] et de la Drôme au sud-est. Avec son détachement, Maurice nettoya le Col de Glandon [en Savoie, 1922 m alt. – 70 km au nord-est de Grenoble] qui relie la vallée de la Romanche à celle de la Maurienne. Avec l’avance des troupes entre Grenoble et Lyon il participa donc aux batailles et aux libérations de Pont-de-Chéruy et de Pusignan [env. 30 km à l’est de Lyon]. Quant à la libération de la capitale des Gaules, le 2-3 septembre 1944, Maurice Mirowski continua à monter en grade. Il devint adjoint de la 1è compagnie du 5e bataillon FTP-FFI de l’Isère et commissaire aux opérations avec le grade de sous-lieutenant. Il prit part aux combats dans la bataille dite « des toits » et occupa des centres vitaux de la ville. Une semaine plus tard, il fut officiellement incorporé au Ier Régiment du Rhône. En décembre 1944, c’était avec le grade de sous-lieutenant que Maurice Mirowski fut démobilisé des FTP-FFI.
Après la capitulation allemande, il fut appelé sous les drapeaux. Étant de la classe 1943 et n’ayant pu faire son service militaire, on l’affecta au Bataillon de l’Air [BA 107 à Villacoublay] comme sous-lieutenant. Du fait de ses activités combattantes dans les FTP-FFI, il fut démobilisé neuf mois plus tard, le 8 mars 1946 comme Aspirant.
En 1948, quand Maurice Mirowski remplit de son écriture pattes de mouche son certificat d’appartenance aux Forces Françaises de l’Intérieur, on mesure tout son dépit dans le point d’exclamation quand il répondit « Aucune ! » à la question des décorations obtenues.

Sources :
Archives du Service Historique de la Défense (Vincennes) Cote GR 16 P 421350 : Dossier individuel d’homologation – résistants 1940-1944
Archives du Mémorial de la Shoah (Fichiers du camp de Drancy et de la Préfecture de Police de Paris)
Cher Stéphane,
J’espère que vous allez bien.
Merci, pour cet intéressant article comme à chaque fois.
Vous devriez l’envoyer au Comité Français pour Yad Vashem.
Bien à Vous
Viviane