Lundi 16 mars 2015. J’ai rendez-vous chez Claudine Katz, née Knoll, pour préparer le dossier de demande de reconnaissance de Juste parmi les nations du Yad Vashem à la mémoire de l’agent Charles Létoffé.
Bien qu’âgée de 5 mois en juin 42 lorsque le policier prévint son père quelques heures avant son interpellation, elle est la seule bénéficiaire que j’ai pu retrouver ou encore en vie aujourd’hui et qui peut témoigner de l’acte salvateur de l’agent soissonnais. Un témoignage qui repose sur les souvenirs qu’avaient ses parents, Charles et Hélène Knoll, ainsi que ses frères aînés, lorsqu’ils l’évoquèrent après la guerre. Elle s’engage à le certifier devant un officier ministériel en mairie. Charles Létoffé, par son attitude, déclencha le premier acte d’une succession de situation et de décision au sein de la famille Knoll qui aboutira à leur survie fin 1944.
Claudine accepte d’être la dépositaire vivante de la bravoure du policier et de participer à la cérémonie si le Yad Vashem à Jérusalem valide notre demande. Elle souhaite toutefois, si discours il y a, d’évoquer une autre personne qui mérite tout autant ce titre, sa nourrice d’alors : Marguerite. Cela me parait tellement évident, d’autant plus que Claudine me sort une photo de 1945 qui m’était inconnue jusqu’à aujourd’hui, malgré nos nombreux entretiens depuis trois ans. Elle prend toute sa lumière après la longue nuit de 1942-1944 lorsque je relis les lignes de mon enquête relatant cette histoire extraite du chapitre 12 : Hélène et Charles Knoll :

Marguerite, la nourrice des cinq enfants Knoll en 1945 devant leur domicile, rue des Chaperons-Rouges à Soissons, après 2 années cachés en région parisienne, à Boulogne-Billancourt dans un vieux magasin désaffecté. Claudine est la plus jeune, au centre de la photo, devant Marguerite.
[Juin 42] Prévenu d’une arrestation imminente par un policier, l’agent Létoffé, Charles Knoll s’enfuit en zone libre dans la région de Limoges. La nuit qui suit, à 2 heures du matin, la police frappe à la porte pour venir l’arrêter, considéré comme Juif apatride. Il s’est échappé à temps ! Dès le lendemain, avec lucidité, Hélène, [son épouse], décide elle aussi de fuir. Les Juifs de nationalité française ne sont pas encore menacés officiellement en cet été 1942 mais elle comprend, qu’un jour, viendra son tour.
Marguerite, la nourrice employée chez les Knoll depuis mai 1941, non juive, refuse de la laisser partir seule avec les enfants et décide de l’accompagner. Les deux femmes partent à midi, à l’heure où les gens sont à table, afin de fuir le plus discrètement possible, longeant les murs comme des animaux traqués. Les enfants dans des poussettes, elles passent par des rues peu fréquentées pour rejoindre la gare de Soissons. Ils prennent la rue des Minimes, tourne sur la gauche rue Panleu. Ils poursuivent tout droit rue Racine, rue d’Oulchy-le-Château pour enfin prendre, à gauche, la rue de Belleu en direction de la gare. Elles prennent le train pour Paris. Claudine raconte :
– Mes grands-parents habitaient à Boulogne-Billancourt. Ils avaient une petite boutique désaffectée. Le père de ma mère (Loewenthal) était tailleur. Lui aussi interdit de commerce par les lois antisémites, la boutique de l’avenue Edouard Vaillant était donc fermée. C’est là que nous nous sommes cachés dans ce local exigu de 20 m². Toute ma famille entassée là, dans cette minuscule boutique aux vitrines brisées, barricadée par des planches de bois. Sans chauffage, nous sommes restés de juin 1942 à septembre 1944. Si nous avons pu nous en sortir, malgré ces misérables conditions de vie, c’est grâce au sacrifice de Marguerite et au courage de ma mère. Au prix de mille dangers ! Parfois, notre père venait nous retrouver dans cette boutique.
Comment ne pas penser à la cachette et au destin de la famille d’Anne Franck en recueillant ce témoignage. Les deux histoires présentent des similitudes à l’exception de la fin moins tragique pour Charles, Hélène, Marguerite et les enfants. Madame Knoll me raconte quelques anecdotes. L’arrestation pouvait arriver à tout moment. Bien sûr, pour se nourrir, Marguerite circule plus librement pour approvisionner la petite famille comme elle peut, du fait des rationnements. Et ces cinq enfants, âgés entre 8 ans et 6 mois, quelle endurance acquise pour ne jamais faillir !
– Un jour, me dit-elle, mon frère aîné, Roger, jouait sur le trottoir dans une autre rue du quartier quand une traction noire s’est arrêtée à son niveau. Des policiers en civils cherchaient le magasin Loewenthal. Mon frère réussit à mentir en précisant qu’il ignorait où se trouvait ce magasin. Quand la voiture s’éloigna, il prit ses jambes à son cou pour prévenir maman. Jamais les policiers n’ont trouvé ce magasin « abandonné », dissimulé sous des planches. Autre chose aussi, et qui montre à quel point ma mère savait garder son sang-froid, elle avait dû se déplacer en métro quand à une station des policiers vérifiaient les papiers d’identité. Elle fit demi-tour mais on l’interpella. Habitué à prendre le métro, car elle avait grandi en région parisienne, elle précisa aux policiers qu’elle s’était trompée de direction et devait faire demi-tour. Le policier crut ma mère car cela arrivait souvent que des usagers du métro se trompent de direction. Heureusement, il ne demanda pas les papiers d’identité à ma mère où était précisée sa condition Juive.